La multitude, nouvel acteur du financement culturel ? (1/2) Le FP, nouvel outil ou réinvention ?

Retour sur le financement participatif culturel en deux épisodes, avec la collaboration de Mathieu Davoust, que nous remercions chaleureusement pour sa contribution.

Qu’est-ce que le financement participatif ?

Contrairement aux apparences et à certains discours, le financement participatif n’est ni une idée nouvelle née avec le numérique, ni un principe révolutionnaire de participation des foules. Il s’agit tout simplement d’une méthode de levée de fonds et de financement de projets consistant à faire appel à la générosité du public, autrement dit de la « multitude ».

Et donc plus qu’une simple réinvention de ce qui existait déjà (souscription publique, appel aux dons, préventes en guise de financement, …), le financement participatif apparaît surtout comme une nouvelle manière, « de masse », de solliciter directement les individus ; soutenue par la puissance des outils numériques. Aujourd’hui à disposition des décideurs et des porteurs de projet, il permet d’atteindre (en théorie) la « multitude » de donateurs potentiels plus facilement. Et ce pour deux raisons relativement proches :

  • Une plus grande facilité de collecter des fonds, notamment grâce aux outils de communication numérique qui permettent l’envoi d’un lien unique (l’url de la page de collecte) soit par mail, soit via les réseaux sociaux ; autrement dit la « multitude » à portée d’un clic ou presque. En comparant à la gestion de formulaires et de courriers papier, à la réception de chèques, … on perçoit vite les avantages.
  • Une pratique qui se démocratise grâce aux plateformes spécialisées. Là où le financement participatif nécessitait de maîtriser un certain nombre de compétences et de pouvoir mobiliser des réseaux importants, un simple clic et un formulaire ouvre aujourd’hui toutes les portes, à tout type de porteurs de projets.

Le financement participatif a donc aujourd’hui vocation à toucher une multitude d’acteurs culturels, pour des types de projets très variés . Cela peut donc aussi bien concerner le Musée du Louvre qui souhaitera financer une nouvelle acquisition, les collectifs de défense du patrimoine et des petites associations ou compagnies en recherche de financement.

Le ou les financements participatifs ?

Si l’on parle couramment du « financement participatif » comme d’un tout, on peut en réalité en distinguer trois types (qui répondent à des logiques très différentes les unes des autres).

  • le don, avec ou sans contrepartie. Dans ce cas-là, les donateurs financent un projet sans en attendre de retour « financier ». Pour ces donateurs, ce don peut être complètement désintéressé (sans aucune contrepartie donc), remercié par une contrepartie « symbolique » (remerciements personnalisés, rencontre avec le porteur de projets,…) ou dont la valeur marchande correspond à la valeur du don (par exemple un DVD pour un film). Par les valeurs qu’il véhicule (solidarité, générosité), le don est parfois associé au mécénat ; mais s’il est possible de connecter le mécénat et financement participatif, la relation n’est pas automatique.  Les réductions fiscales autorisés par le régime du mécénat (défiscalisation de 66% du don pour les particuliers, 60% pour les entreprises ; 90% s’il s’agit de l’acquisition d’un « trésor national ») sont encadrés par des critères d’éligibilité stricts auxquels les projets culturels ne peuvent pas tous répondre. En outre, les plateformes de dons n’intègrent pas toutes la logique du mécénat dans leur fonctionnement, n’offrant ainsi pas toujours la possibilité aux donateurs de défiscaliser leurs dons.
  • le prêt, avec ou sans intérêts. De la même manière qu’un prêt immobilier ou étudiant, il s’agit de mettre à disposition du porteur de projet une somme d’argent ; soumise à remboursement sur la base d’un échéancier fixé à l’avance.
  • l’investissement. De façon assez transparente, cette méthode permet au donateur de prendre des parts dans le projet ou dans l’entreprise qu’il finance.

En 2016 en France, le financement participatif a permis de lever plus de 233,8 millions d’euros (contre 166,8 millions d’euros en 2015 ; +40%) participant à financer quelques 21.375 projets (par plus d’un million de contributeurs uniques). Le prêt est le mode de financement qui a généré les levées de fonds les plus importantes (97 millions d’euros), loin devant le don et l’investissement (tous deux à 68,6 millions d’euros). Enfin, on notera que les projets culturels représentent 19% des projets financés (23% pour l’Ile-de-France) et se rangent dans leur immense majorité dans la première catégorie, celle du « don ».

Financement et communication, le double emploi du financement participatif

Comme on l’aura compris, le financement participatif est donc un outil de levée de fonds permettant de diversifier ses sources financements en sollicitant la multitude des particuliers. Plus spécifiquement, il sert avant tout à financer les phases de conception, de production ou de diffusion d’un produit culturel. Les frais de fonctionnement, comme le « renouvellement du stock de papier au bureau » étant beaucoup plus difficile à vendre aux (micro)-donateurs.

Mais qui dit appel aux dons, dit également communication avec la foule de donateurs potentiels. Et c’est là, dans la communication même autour du projet, que réside la deuxième grande force du financement participatif. Car en plus de lever des fonds, le porteur de projet fait parler de son projet, le valorise alors même qu’il n’en est qu’à ses prémisses. Les contreparties matérielles, comme une affiche ou un CD par exemple, pouvant dans cette optique là servir la communication globale du projet. En proposant, le porteur peut espérer séduire un nombre toujours croissant de donateurs, accroître la visibilité de sa collecte et in fine, de son projet.

En général (et dans l’idéal diront certains), le financement participatif est utilisé dans les phases amonts du projet, que ce soit pour la conception ou la production afin de disposer des fonds au moment de sa réalisation. Pour autant, les fonds pourront aussi bien servir à renforcer une campagne de communication qu’à financer un poste précis tel que le pressage d’un CD, le cachet d’un intermittent ou le montage d’un film. Mais dans les faits, pour séduire plus facilement les donateurs, il semble recommandé de concentrer l’appel au don sur les postes les plus visibles ou concrets du projet, comme les décors ou les costumes par exemple. A noter qu’il est également recommandé d’être très attentif dès lors que l’on propose des contreparties matérielles : des coûts mal anticipés peuvent très rapidement les transformer en un gouffre et ponctionner une part importante des fonds récoltés.

Dans tous les cas, les porteurs de projets sont de toute manière obligés par les plateformes, avec plus ou moins de rigueur, d’expliquer à quoi serviront les fonds récoltés. Il s’agit par exemple pour Proarti (la seule plateforme à traiter tout le spectre culturel et uniquement ce dernier) d’un gage supplémentaire donné aux futurs donateurs quant au sérieux et à la crédibilité du projet.

Une multitude avant tout sentimentale ?

Mobiliser la multitude, diversifier ses sources de financements, gagner en légitimité ainsi qu’en visibilité. Voilà pour la théorie. Car dans la pratique, l’argent ne tombe que très rarement du ciel et le don reste largement lié à l’affect. Ce qui explique pourquoi l’on considère souvent que l’un des principaux buts d’une campagne est de fédérer une « communauté ». C’est-à-dire un ensemble d’individus partageant des valeurs et des histoires (voire une identité) communes. L’affect devenant (bien souvent) de fait le principal moteur du don.

  • Les 3 cercles de donateurs

Cette idée de « foule » de donateurs, de cette « multitude » est en réalité trompeuse et ne correspond, parfois, qu’à un faible nombre d’individus déjà informés ou favorables au projet. Il est en effet très fréquent que les porteurs de projets connaissent l’ensemble des donateurs, qui feront bien souvent partie de leurs proches (ou de cercles de sociabilité légèrement plus éloignés).

C’est pour éviter cet écueil qu’il est souvent dit qu’une collecte réussie mobilise 3 cercles de donateurs :

  • Le 1er cercle : la famille et les proches ou les « fans » des porteurs de projet, dont le don est davantage motivé par le lien de proximité que par la qualité intrinsèque du projet.
  • Le 2ème cercle : les amis éloignés, les amis d’amis ou des personnes gravitant plus ou moins autour du projet, de la structure ou des personnes qui le portent.
  • Le 3ème cercle : les inconnus touchés soit par capillarité (suite à la mobilisation des deux premiers cercles), soit par adhésion à une cause commune (si le projet défend une idée particulière) et/ou soit par une campagne de communication de grande ampleur (relais dans les grands médias, soutien de personnalités influentes, …).

Ces trois cercles ne sont en aucun cas exclusifs et doivent être contactés, puis mobilisés, successivement. Notons que même dans le cas des campagnes les plus importantes, ce schéma des « 3 cercles » s’applique (un peu différemment certes). En effet, le 1er cercle d’une grande institution culturelle sera composé des abonnés ou des membres des sociétés d’amis. Avant que la collecte n’aille cibler des personnes plus éloignées.

Le donateur, cet être doté de sensibilité

Du point de vue du donateur, la participation à une campagne de financement participatif est un acte motivé par une adhésion. En le réduisant à une simple transaction financière, on prend le risque de réduire la portée du geste et donc, par voie de conséquence, d’y répondre de la mauvaise manière.

De la même manière, réduire les plateformes à leur rôle de « compte transitoire » ne permet pas d’en exploiter tous les potentiels. Par leur simplicité d’utilisation et leur cadre protecteur et sécurisé, elles ont su attirer des milliers de donateurs certains de voir leur dons « utilisés ou remboursés » ; notamment en cas d’abandon du projet. Au-delà, elles ont redonné de l’importance, une légitimité nouvelle aux micros-dons, facilités par le numérique et la conscience qu’il existe de nombreux autres donateurs. Pour autant, la réticence au numérique des donateurs (ou les difficultés qu’ils éprouvent) doivent également être prises en compte et certaines plateformes comme Proarti continuent de garder un pied hors du « virtuel » en acceptant d’autres modes d’enregistrement des dons (formulaires papiers, dons par chèques, collecte sur place…).

Pour le donateur, le geste peut s’apparenter à une volonté « militante », revendiquée auprès de ses réseaux. Son nom est alors associé au projet, avec la satisfaction d’avoir contribué à son développement (remerciements, …). Plus en avant, cela doit permettre de créer une relation nouvelle, plus directe et « exclusive », entre les porteurs de projet et leurs donateurs ; plus approfondie que la simple rétribution symbolique ou matérielle prévue. Cela peut parfois passer, par exemple, par des messages sur l’avancement du projet, des invitations à venir découvrir les coulisses ou encore une attention particulière lors de l’avant-première.

En d’autres termes, il s’agit d’interagir régulièrement avec ses donateurs qui attendent bien souvent plus qu’une rétribution matérielle. En laissant ses donateurs dans le flou, le porteur de projet prend le risque de décevoir leurs attentes ; le projet ne correspondant plus à l’image qu’ils s’en étaient fait. A l’inverse, communiquer de manière régulière et transparente permet de limiter ces risques, par un travail de pédagogie et la construction d’une relation particulière..

C’est ainsi que lorsque ce travail de fidélisation est effectué, que les porteurs de projet s’investissent sincèrement dans leur collecte, les objectifs sont le plus souvent atteints – hors montants extrêmement élevés ou disproportionnés (par rapport à la taille de leurs réseaux). A l’inverse, les échecs sont principalement dus à un manque d’implication (absence de relance, de réactivité, …) ou à une incompréhension du principe même : lancer une collecte ne suffit pas à faire tomber les dons, qui doivent être gagnés et mérités ! Un phénomène d’autant plus marqué dans la culture où le financement participatif reste souvent un complément qui occupe une part minoritaire dans le budget des projets.

Engager et s’engager, les 2 clés d’une relation porteur/donateur durable

Le fonctionnement du crowdfunding (financement par la foule) est donc relativement simple : un porteur de projet agrège, grâce à une plateforme numérique dédiée, une communauté de donateurs – qui lui sont bien souvent proches – afin qu’ils participent au financement de tout ou partie de son projet. Une communauté qu’il s’agit de faire grandir, grossir et d’entretenir au fur et à mesure de la collecte puis, une fois celle-ci atteinte, du développement du projet.

C’est pourquoi il est généralement dit qu’une campagne ou qu’une collecte peut se décomposer en 2 temps, qui renvoient eux-mêmes à 2 logiques d’actions différentes pour les porteurs de projet : a. le temps 1 de la persuasion (engager les donateurs) et b. le temps 2 du don de soi (s’engager auprès des donateurs).

  • le 1er temps, celui de la collecte à proprement parler, répond à une seule logique : atteindre et dépasser les objectifs financiers. Dans un laps de temps relativement court, le porteur de projet devra mobiliser et persuader son réseau du bien fondé de son projet. Plus son discours sera intégrateur et mobilisateur, plus les chances de succès seront grandes. Autrement dit, plus les messages et les contreparties seront personnalisées, plus le taux de conversion personne touchée => donateur sera élevé (en théorie). On est ici dans une phase d’engagement.
  • le 2e temps, celui de l’après-collecte, répond à une autre logique, plus communicationnelle et relationnelle : maintenir active la communauté (engagée au temps 1) autour du projet afin qu’elle puisse participer au développement de projets futurs. Autrement dit, il s’agit de capitaliser sur l’action « don » pour bâtir une relation durable et pérenne avec les donateurs. Ce qui passe forcément par un engagement sincère du porteur de projet, qui devra être le moteur de cette nouvelle relation. L’enjeu étant, pour lui, de souder une communauté fidèle et engagée aux côtés de la structure. Et donc de son avenir.

C’est ainsi que deux visions, à court et plus long termes peuvent s’opposer. Si se contenter de distribuer des contreparties sans chercher à créer une relation pérenne avec les donateurs peut fonctionner, il est clair que cela réduit le crowdfunding à une simple transaction financière. Et par conséquent, en sous-employant son potentiel affectif ou de communication, peut refroidir les donateurs lors d’une collecte future. Pénalisant la structure dans son ensemble. D’où l’intérêt alors de s’investir pleinement, ne serait-ce que pour préserver toutes ses chances de lever à nouveau des fonds.

Pour conclure

S’il est clair que le principe du financement participatif n’est pas récent, ses principes de fonctionnement, propulsé par le numérique, sont quant à eux réellement innovants. En relançant le micro-don, en favorisant la participation de différents cercles de donateurs et en simplifiant les démarches tout en garantissant l’aboutissement (généralement) des projets, les plateformes de financement participatif ont ouvert une nouvelle voie pour les acteurs culturels. S’il ne s’agit pas d’un outil miracle, l’intérêt qu’il suscite aujourd’hui dans des secteurs aussi compétitif que le football professionnel est tout sauf un hasard.

 

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