L’Odyssée : La mer comme affaire de morale

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Greentertainment revient sur la sortie du film de Jérôme Salle L’Odyssée … alors fresque écologique ou drame familial ? Critique de Maxime Bouillon.

La sortie de L’Odyssée était visiblement attendue par les spectateurs, puisque le film a réalisé près de 370 000 entrées au cours de sa première semaine d’exploitation ; ce qui est à la fois important et faible si on le rapporte au budget du film, estimé à 20 millions d’euros. De son côté, la critique se divise entre « l’époustouflant » vs « le conventionnel » – Le Monde en a ras de bol de voir la « mythologie nationale plongée dans le formol » tandis que Première célèbre la photographie d’un film qui vise la « sidération à l’état pur ». Il est d’ailleurs tout à fait vrai que le film contient autant de lourdeurs et de classicisme que de plans merveilleux sur les fonds marins. Le problème c’est que le film semble hésiter sur ses propres enjeux et nous laisse dans une expectative successivement béate et ennuyée.

Un film sur le père et moins sur la mer

En entrant dans la salle nous savons d’abord que L’Odyssée est un biopic sur le Commandant Jacques-Yves Cousteau – dit JYC – (Lambert Wilson) mais de manière presque surprenante, le film se concentre sur ses rapports familiaux plutôt que sur ses exploits océanographiques. La conquête de la mer du commandant ne se déploie qu’en toile de fond tandis que la définition des membres de la famille Cousteau est centrale, que ce soit à l’occasion de l’installation d’une colonie d’océanautes dans le détroit d’Ormuz ou dans les bureaux d’une chaine de télévision américaine. Ce c’est ainsi que le film ne prend toute son ampleur que lorsque Philippe (Pierre Niney), le fils cadet, critique les succès du clan familial au nom des absurdités écologiques des projets portés par le père. C’est avec cette imbrication classique entre la grande et la petite histoire que Jérôme Salle (Zulu, Largo Winch …) rapproche les problèmes moraux liés à la famille des questions écologiques.

L’affrontement père-fils comme nœud narratif

Ce choix de faire de l’affrontement père-fils le nœud du film hisse la question de la préservation de la nature au rang d’enjeu moral, au même titre que l’égoïsme, la luxure et la vénalité qui sont attribués au personnage de Jacques Cousteau. Pourtant, Jérôme Salle a insisté à de nombreuses reprises sur sa volonté de ne pas faire un film hagiographique ni porter de jugement moral sur les agissements du Commandant. Mais en ne traitant ni des projets du commandant, ni des raisons qui les ont motivés, il ne laisse à l’écran que cette dualité entre Jacques et Philippe. Quant à la présentation stéréotypée des personnages, elle les renvoie à deux pôles bien identifiables et renforce la sensation d’une division morale entre le père et le fils. Ainsi, le montage d’abord. Il montre successivement le vieux commandant se perdant dans l’adultère tandis que le jeune idéaliste se réalise dans un amour simple, l’un écrivant une lettre d’amour sur le pont ensoleillé de la Calypso tandis que l’autre arpente le monde et les conquêtes féminines à un rythme soutenu …  Ensuite le cadre, dans lequel les deux acteurs construisent une belle opposition corporelle. Pierre Niney est cadré dans toute sa souplesse et incarne une beauté juvénile tandis que Lambert Wilson laisse transparaître plus de rigidité et use davantage de son aura. Dans la narration, ces oppositions se construisent de manière plus sporadique, notamment à travers des échanges qui évolue de la transmission vers la transgression – le père donne sa chance à son fils afin qu’il participe au tournage de ses films, tandis que le fils passe son brevet de pilote d’avion que le père avait dû abandonner.

Quand la nature sème la discorde ….

Mais c’est bien sûr le rapport à l’environnement qui cristallise leur séparation, puisque Philippe quitte la Calypso après que son père décide de présenter son équipage vivant en belle harmonie avec un couple d’otaries, capturé un peu plus tôt. En désaccord avec son père, il estime que celui-ci s’est perdu en voulant de faire de la mer un spectacle et se lance dans une croisade pour la protéger. C’est donc autant des ambitions personnelles que des visions du monde qui s’affrontent, la conquête de la mer de l’un bouleverse les objectifs écologiques de l’autre. C’est à ce moment qu’un glissement s’opère dans l’objet du conflit filial : on évolue du problème classique de la place de chacun dans la famille à des enjeux liés à l’impact de l’homme sur son environnement. Et presque contre-intuitivement pour un tel film, c’est également la première fois qu’il semble y avoir un nœud scénaristique essentiel entre le commandant Cousteau et la mer – malheureusement la fin du film approche déjà … La mer avait pourtant été rapprochée assez tôt dans le film d’une question morale. Lors de la séquence où Philippe évoque son désir de devenir cinéaste, son père lui propose de filmer avec lui les habitats sous-marins qu’il est en train de tester. Cela donne à Philippe l’idée de réaliser un traveling arrière ayant pour ambition de faire du hublot de la maison sous-marine un point de lumière perdu dans l’océan. A posteriori, on comprend que le fils met déjà à distance son admiration pour son père avec un plan qui pose clairement la question de la place de l’homme dans l’océan.

… l’écologie devient un point de repère

Pour le commandant, la résolution du conflit va passer par une rédemption par l’écologie, marquée par le retour de Philippe à ses côtés pour sa dernière aventure vers l’Antarctique. Peu à peu, « JYC » opère sa transformation sous l’impulsion de Philippe. Ainsi, lorsqu’ils font la découverte d’un camp de chasseur de baleine, c’est désormais Philippe qui guide et qui explique à son père la manière de procéder des baleiniers. Ou plus littéralement, le père accepte de ne plus imprimer sa marque en demandant à son équipage d’essuyer la graisse de leurs chaussures avant de marcher sur la banquise. En renonçant ainsi à imposer une marque, les rôles peuvent s’inverser et Philippe permet à son père de retrouver sa place dans la société, y compris auprès des médias qui l’avaient pourtant délaissé. Mais le conflit entre les deux hommes ne se résout pas simplement parce que le père acquiert une sensibilité écologique mais avant tout parce que le vieux commandant a accepté la transformation. La question écologique est ainsi présentée comme une question morale au même titre que l’ensemble des règles qui régissent les rapports familiaux. En somme, l’évolution de la relation entre Philippe et Jacques Cousteau, qui s’articule autour de la rédemption, fait de l’écologie un geste nécessaire par moralité. Et c’est ainsi que dès lors que le commandant accepte sa transformation, toutes les « déviances moralement condamnables » des personnages disparaissent : JYC cesse de courir après les femmes et l’argent, la mère arrête de boire, …

Le film développe donc une vision moralisante dans sa manière d’appréhender le monde et frustre d’autant plus que ses hésitations scénaristiques suscitent des attentes déçues par ses idées un peu simplistes sur la famille ou l’environnement. Ainsi, le spectateur passe de l’attente d’un film sur le Commandant Cousteau, explorateur moderne des mers et protecteur de l’Antarctique, à un drame familial relativement classique, aux très belles images et aux propos assez mièvres. De tout ça, il aurait encore pu surgir l’espoir d’un questionnement sur la place de l’homme dans son environnement, dans son rapport à l’environnement ou d’une fresque écologique … qui n’aboutit malheureusement jamais vraiment.

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