Patrimonialisation : régénérer par les industries culturelles (1/2)

dsc_0166La culture, cet ami fidèle. Les industries culturelles sont souvent perçues comme une puissance régénératrice pour des territoires déshérités, capables de combattre « l’image répulsive de[s] pays noir[s] » que sont les bassins miniers ou les anciens bastions industriels. Un temps pratiquée en France, la stratégie du destruction/remplacement des friches industrielles a peu à peu cédé sa place à la toute puissance de la patrimonialisation, qui consiste à revaloriser et à transformer le patrimoine industriel, notamment en équipements culturels. Bilan avec le géographe Bruno Lusso, dont l’étude comparative des bassins miniers de la Ruhr et du Nord-Pas-de-Calais permet de dissocier le fantasmé du réel.

La patrimonialisation : pour quoi faire ?

La patrimonialisation vise à reconnaître à un(e) objet/pratique … (comme une mine ou une « cuisine » par exemple) un caractère patrimonial. C’est-à-dire de lui reconnaître certaines qualités qui le/la rende digne d’être restauré(e,) entretenu(e) et conservé(e). En plus d’un droit à « être préservé », la patrimonialisation tend à lui attribuer une « valeur culturelle » propre. Et de fait, ce qui était un fardeau (dans le cas d’un site industriel) devient une opportunité à bonifier. Longtemps dénigré, le patrimoine industriel s’est ainsi vu patrimonialiser depuis les années 1980.

Une fois réintégré à l’identité locale, patrimonialisé et donc valorisé, l’objet en question (par exemple les mines) peuvent participer du renouveau territorial. En premier lieu dans les anciennes friches ou quartiers industriels. Pour répondre au désert laissé par la désindustrialisation, la culture s’est progressivement imposée comme un outil de requalification et de transformation (économique, sociale, physique, …) puissant pour les territoires. Et de telles stratégies de « régénération culturelle » sont souvent citées dans les cas de politiques touristiques ou de marketing territorial.

Mais dans ces régions déshéritées, avec peu de patrimoine monumental (châteaux, abbayes, …), la mise en patrimoine de friches industrielles peut alors rapidement revêtir « un caractère purement cosmétique et dilatoire ». D’où l’importance de penser la patrimonialisation de ces anciennes friches de manière beaucoup plus large, en y faisant émerger de nouvelles fonctions – par exemple culturel – afin de les réintégrer pleinement dans le territoire. Autrement dit, fabriquer un lieu nouveau en « recyclant » l’existant.

Les clés de la réhabilitation

Ces deux études de cas croisées permettent de tirer quelques enseignements ou points utiles quant au « recyclage » et à la gestion du patrimoine industriel :

  • Concilier transformation, réhabilitation, valorisation et protection : valorisation de l’existant, introduction de nouvelles fonctions, gestion des paysages, protection de l’environnement, … Quelques exemples concrets qui peuvent durer :
    – susciter un intérêt médiatique et créatif fort (BIA, capitale européenne de la culture, …)
    – obligation de réutiliser l’existant afin d’éviter d’occuper de nouveaux terrains encore vierges
    – utiliser les capacités de résilience de la nature pour décontaminer les friches trop polluées
  • La réhabilitation et la mise en valeur du patrimoine industriel suit quelques grandes règles simples :
    – Adapter l’ancien site industrielle à ses nouvelles fonctions, notamment par des réaménagements.
    – Les « Flagship project » (grands projets) d’équipements culturels doivent conserver les principales caractéristiques architecturales, reconstituer l’ambiance originelle du patrimoine réutilisé tout en étant capable de marquer les esprits.
  • La valorisation du patrimoine est un outil prisé pour réhabiliter certains espaces urbains ou certaines friches. L’idée est tout autant de revaloriser l’identité industrielle du territoire que de lui donner de nouveaux centres et points de repères.
    – Situées dans les périphéries, souvent peu accessibles ou polluées, les friches industrielles (et par extension les secteurs urbains associés) sont généralement hors du marché foncier. Il faut donc créer les conditions pour les y réintroduire.
    – Un équipement culturel doit être accompagné d’un environnement agréable : éviter le piège du hors-sol ; qui consiste à implanté un équipement (au sein d’un bâtiment réhabilité) dans un environnement dégradé.
    – Requalifier un quartier nécessite de travailler autant à la valorisation du patrimoine (image de marque) qu’à de la rénovation urbaine : c’est l’ensemble du site qu’il faut revaloriser et recycler : rénovation des cités minières, réfection de la voirie, reconquête des fronts d’eau, installation de nouveaux signes urbains (sculptures, …).
    – Un équipement culturel ne génère que très peu d’emplois et nécessite d’être inscrit dans un  projet de régénération urbaine plus large (transports, habitats, environnement, développement économique, …).
  • La régénération vise à transformer l’espace physiquement et symboliquement : en « renverser l’image interne et externe ». La réutilisation du patrimoine industriel pour des équipements culturels favorise la reconnaissance et l’identification des habitants à l’identité du territoire. Qui sont alors plus promptes à mener des actions de valorisation, premier préalable à un marketing territorial efficace.

Concrètement, aussi bien la vallée de l’Ermscher (dans la Ruhr) que le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais s’en sont bien sortis. Malgré les destructions plus nombreuses côté français (territoire plus grand, crise plus profonde, …) on peut malgré tout parler de bilan positif en termes de sauvegarde et de réhabilitation du patrimoine : les paysages sont en meilleurs état, de nombreux sites ont été protégés, la nature a repris ses droits et le cadre de vie s’est globalement amélioré. Une dynamique locale est née, avec d’un côté de nombreux exemples de réutilisation souvent créatifs (piste de ski, bases de loisirs, parcs, musées, salle de spectacle …) et de l’autre une plus grande considération des habitants pour leur patrimoine (associations, …).

Malgré tout, comme le montre la construction presque « ex-nihilo » du Louvre Lens sur une ancienne mine (que l’on a achevé de raser), la patrimonialisation n’est pas l’unique façon de faire. Même s’il est fort possible que le maintient de quelques vestiges (aujourd’hui symbolisés par des plaques) auraient pu être intéressant. Dans tous les cas, une fois ce processus de patrimonialisation achevé, la question se pose de savoir quoi avec ce nouveau patrimoine ?

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