Assez peu visibles dans la pléthore de l’offre culturelle, les arts de la marionnette se sont pourtant imposés comme une discipline à part entière. Désormais indépendants, mus par un esprit de filière ainsi qu’un double mouvement de structuration et de professionnalisation, les marionnettes sont aujourd’hui amenées à s’ouvrir pour sortir de l’ombre. C’est en tout cas ce qui ressort du travail de bilan et de prospective du ministère de la Culture et de la Communication. Et pour ce secteur méconnu, l’objectif est aujourd’hui d’affirmer son identité adulte, grand public et intrinsèquement moderne afin de pleinement valoriser sa vitalité artistique.
Arts de la marionnette : de quoi on parle ?
- Un art difficile à définir
Souvent associés à l’image du « Guignol » et de l’enfance, les « arts de la marionnette » couvrent en réalité une diversité de pratiques : les marionnettes évidemment mais également les théâtres d’ombres, de papier ou encore d’objets. Un éclectisme qui rend difficile tout travail de définition, dont le trait jusqu’à présent distinctif était : « le retrait du marionnettiste hors de son spectacle ». Une caractéristique qui n’a pas résisté au temps et aux évolutions artistiques, alors que le marionnettiste autant que la marionnette appartiennent désormais au spectacle.
- S’émanciper du théâtre et de la danse
Affiliées aux arts de la scène, au même titre que le théâtre et la danse, les marionnettes ont pourtant peiné à s’affirmer comme une discipline à part entière. A la fin du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe siècle, les arts de marionnettes connaissent un renouveau artistique sous l’impulsion de personnalités issues du monde du théâtre (A. Jarry, E.G Craig, G. Baty, …). Une tutelle qui s’étiolera progressivement au cours des décennies suivantes, avec l’essor de figures propres aux marionnettes (A. Recoing, …) et la multiplication des initiatives.
Mais c’est véritablement à partir des années 1960-80 qu’un esprit de filière apparaît et se structure : syndicats, associations professionnelles, formation, scène nationale, festivals, … Et il faut attendre les années 1990 et 2000 pour que le secteur termine de se professionnaliser, avec la création de nombreuses compagnies, l’ouverture à l’international et la reconnaissance des collectivités (après celle de l’État). Créée en 2012, l’Aviama (Association des villes amies des arts de la marionnette) – 11 villes, 8 pays – est en ce sens frappant, et fait de la marionnette un vecteur transnational de développement pour les territoires.
Les arts de la marionnette semblent aujourd’hui arrivés à maturité et ont pris soin de se doter d’outils de réflexivité avec la création d’un centre de documentation et d’une chaire universitaire (ICiMa), rattachés à l’Institut international de la marionnette (IIM) situé à Charleville-Mézières.
- Le compagnonnage comme marqueur premier
A la croisée entre l’artisanat et le théâtre, les arts de la marionnette sont également fortement marqués par l’esprit du compagnonnage. Mode de transmission privilégié, le compagnonnage s’est structuré au fil des années 2000 dans les « lieux-compagnies missionnés au titre du compagnonnage ». Au sein de ceux-ci, souvent grâce à un apport de financements publics, une compagnie « installée » accompagne et forme de jeunes professionnels. Au nombre de 8 actuellement, ces lieux sont à la fois une plateforme de création et des espaces de formation aux techniques et aux canons actuels de la marionnette.
Les arts de la marionnette en un clin d’œil
Concrètement, la marionnette en 2016 en France c’était :
- 600 compagnies, soit environ 20% de plus qu’il y a 10 ans ; dont 30 sont soutenues par un conventionnement avec l’État
- 800 spectacles proposés, sur des scènes conventionnelles, des festivals ou encore des établissements scolaires et socio-culturels.
- 50aine de festivals, dont le Festival Mondial des Théâtres des Marionnettes de Charleville-Mézières où 10 jours durant, 168.500 spectateurs viennent profiter de 117 compagnies (de 40 pays), 150 spectacles et 590 représentations.
- 9 scènes conventionnées, 1 Centre Dramatique National (Strasbourg), 1 Scène nationale (Château-Gontier (Mayenne)) – ainsi que le Théâtre de la Marionnette à Paris (TMP).
- 8 lieux-compagnies dédiés au compagnonnage, hébergeant 100 artistes ou compagnies (dont 91 français et 24 issus de l’Ecole supérieure nationale des arts de la marionnette – Esnam) et accompagnant 12 à 13 projets en moyenne.
- 1 Centre de formation, de recherche et de documentation (Institut international de la marionnette (IIM) à Charleville-Mézières), comprenant l’Esnam qui délivre depuis 2016 un Diplôme national supérieur professionnel (DNSP) d’acteur-marionnettiste.
- 5 millions d’euros provenant du ministère de la Culture, auxquels s’ajoutent les fonds issus des collectivités.
Et si l’on observe une répartition géographique relativement homogène sur tout le territoire, on peut noter :
- la surreprésentation de l’Ile-de-France
- l’absence de la Bourgogne-Franche-Comté
- le très grand nombre de compagnies privées en région « Occitanie »
- Un lissage sur tout le territoire de lieux ou d’évènements structurants, même si les régions Grand-Est et PACA restent les mieux représentées
Quoi faire pour continuer à grandir ?
Comme on l’a vu, les arts de la marionnette ont connu un développement relativement linéaire depuis leur émancipation du théâtre, qui a abouti au début des années 2010 à la création d’un pôle de recherche et de formation et d’unité de création et de post-formation dans différentes régions (les « lieux-compagnies »). Malgré ces accomplissements, le secteur peine encore à émerger sur les scènes généralistes (face au théâtre et à la danse) ainsi qu’à pérenniser ses acquis et ses structures.
Fort d’un esprit collectif, les arts de la marionnette sont aujourd’hui confronté à un « plafond de verre » qu’il s’agit de dépasser en puisant d’un côté dans ce qui fait leur spécificité et de l’autre en s’ouvrant à de nouvelles pratiques et à de nouveaux acteurs. Autrement dit, une évolution placée sous le signe du renouvellement et de la tradition.
- les lieux compagnies comme point d’ancrage : mieux définir, s’ouvrir
La reconnaissance du compagnonnage et des lieux-compagnies apparait en principe comme une solution idoine pour « fixer » les professionnels dans les territoires : post-formation, espace de création, scène de diffusion. Nés de la pratique, ces dispositifs reposent « avant tout sur une volonté commune et une rencontre humaine » et sont relativement peu structurés. En conséquence, les missions de compagnonnage prennent parfois le pas sur l’esprit de création, qui reste le cœur d’activité des compagnies d’accueil. D’où la nécessité de rééquilibrer (et de continuer à développer) les deux axes « laboratoire » et « compagnonnage ».
Aussi, en plus de la question des moyens, c’est un travail de définition et d’ouverture qui doit être menée :
– structurer le déroulé du compagnonnage en clarifiant les objectifs et les moyens
– créer un dispositif d’évaluation sur la base d’indicateurs communs à tous les lieux-compagnies
– développer les liens entre les lieux-compagnies et entre les lieux-compagnies et les réseaux locaux (et nationaux) de diffusion et de production des arts de la scène
– assurer la pérennité et la transmissibilité des lieux-compagnies, à l’orée d’un fort renouvellement générationnel.
- produire, diffuser : changer d’échelle
Les arts de la marionnette sont de mieux en mieux reconnus en tant que discipline et secteur à part entière. Une indépendance rendue possible par l’émergence de ses propres institutions, de ses propres lieux de création et de ses propres réseaux. Mais ces fondations s’avèrent aujourd’hui insuffisantes pour absorber la production et diffuser la créativité de ce secteur en plein essor. Ainsi, afin d’éviter la tentation de l’entre-soi et trouver de nouveaux débouchés à la création, ces arts doivent aujourd’hui changer de dimension tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Dans les faits, il s’agit de passer à une autre échelle de production et de diffusion, en vue de passer du statut d’art « confidentiel » à celui de « généraliste » :
– s’inscrire dans le fonctionnement des institutions généralistes par le biais lieux de créations (scènes nationales ou des centres dramatiques nationaux) et des organisations professionnelles
– raffermir les liens au sein des arts de la marionnette afin d’agir et de communiquer de manière cohérente envers l’extérieur
– renforcer les actions en faveur de cette ouverture : aller vers de la création de « plateaux », soutenir par du pré-achat, conquérir de nouvelles scènes, renforcer le maillage territorial, capter une part plus importante de financements à la création, …
– mieux connaître son public, visiblement de composé de nombreux jeunes adultes, afin de communiquer plus finement et de « casser » l’image « enfantine » qu’ont toujours les marionnettes.
– relayer la créativité française à l’international par le biais de la diplomatie culturelle (ambassades, instituts français) ou des réseaux professionnels (festivals étrangers, …)
En conclusion : un renouvellement par la tradition
En plus de faire découvrir les arts de la marionnette, ce rapport offre des clés d’analyse d’un changement d’échelle, celui de l’évolution d’un secteur mature mais confidentiel vers une reconnaissance plus large. Un passage d’une dimension qui doit se produire pour éviter une forme d’entre-soi et accompagner le dynamisme artistique permis par la professionnalisation récente. Derrière, c’est tout l’enjeu de la pérennisation d’un secteur vivant mais fragile qui est en jeu.
Et ce que l’on peut retenir, en « leçons générales » d’un tel rapport, d’un tel moment, ce sont finalement 4 éléments :
- la création d’un réseau corporatiste fort, afin de communiquer et de décider d’une seule voix
- la post-formation comme enjeu d’insertion professionnelle, ici à travers les lieux-compagnies où se retrouvent les compagnons, avant d’essaimer dans d’autres lieux/territoires.
- toucher des réseaux généralistes : organisations professionnelles, collectivités, nouveaux publics, espaces de production et de diffusion (nouvelles scènes, …)
- s’ouvrir à l’international : confidentiels mais pas confinés, les arts de la marionnette ont un élan international qu’il s’agit de développer, au même titre qu’à l’échelle nationale.