« Actualisation Destructrice » ou les limites d’une licence surexploitée ?

Succès critique, auréolé d’un oscar, le dernier né des films Spider-Man [Spider-Man: Into the Spider-Verse] semble construit sur une relecture au filtre d’une fan service de l’œuvre originelle et montre, en quelque sorte, les limites de la surexploitation d’une licence.

1. « Actualisation destructrice » et 4e mur

3 acteurs différents, 7 films depuis 2002 et des recettes relativement faibles (380M$ par film en moyenne) n’auront pas eu raison d’une des licences préférées des fans de super-héros. Les studios hollywoodiens, loin d’abandonner Spider-Man au sort de faire-valoir qui lui semblait promis au sein des Avengers (et plus largement du Marvel Cinematographic Universe), ont cherché à construire une nouvelle mythologie autour du personnage.

Cette démarche, que l’on pourrait qualifier « d’actualisation destructrice », repose sur une destruction-reconstruction de l’univers de l’Homme-Araignée en fonction d’attentes supposées et largement issues d’une pop culture et d’une culture internet édulcorées. Cette idée, à rapprocher de la notion de « destruction créatrice » de J. Schumpeter, en reprend les points clés (destruction-naissance) sans en reprendre la logique. En effet, il ne s’agit pas ici de remplacer une œuvre par une autre (qui serait plus performante car plus innovante), mais de remplacer une œuvre par une nouvelle lecture de celle-ci au filtre de son « produit ». C’est-à-dire, selon la définition du sociologue des médias John Fiske, de son public, de son histoire, de ses produits dérivés, des commentaires qui ont été faits …

Ce faisant, scénaristes et producteurs offrent une place de choix aux « fans » dans la structure du récit mais cassent, au nom d’un fan service exacerbé, deux composantes essentielles d’une œuvre de science-fiction :

  • Le 4e mur, qui marque la distance entre le monde du film (l’univers diégétique) et les spectateurs. C’est-à-dire la garantie que les personnages sont convaincus d’être dans un univers « réel » et de vivre « leur » histoire (et non pas d’être des acteurs dans un film).
  • Un contrat narratif reposant sur deux éléments :
    • Une histoire réaliste au regard de l’univers diégétique (la fameuse suspension consentie de l’incrédulité d’Hitchcock)
    • Une distanciation cognitive vis-à-vis de l’univers réel, qui vise à embarquer le spectateur dans un monde inhabituel.

Et s’il est évident que cinéastes et auteurs devraient être libres de jouer avec ces deux notions, les intentions du film semblent moins résider dans une volonté de renouveler le genre que de rassurer les spectateurs sur le caractère « original » du divertissement qu’ils consomment. Au risque de dévaloriser l’œuvre originelle et de briser la mystique de la salle obscure à force de clins d’œil trop appuyés.

2. « L’actualisation destructrice » et l’illusion de l’originalité

Car bien qu’il finisse par le faire, le film prétend non pas nous raconter une histoire que nous connaissons déjà, celle des origines du personnage de Spider-Man, mais une nouvelle version, une réinterprétation de cette histoire ; à l’aune du « produit » de l’œuvre originelle. Aussi, dès les premières minutes, le film accepte et admet l’existence d’un univers beaucoup plus large le concernant dans lequel il s’autorise à aller puiser pour alimenter son récit. Sous couvert d’une connivence avec le public et un basculement vers la parodie.

Ces citations et ces références sont maniées par les personnages eux-mêmes, qui deviennent alors les béliers avec lesquels le film vient briser le 4e mur afin de faire avancer son récit :

  • [Structure de l’univers diégétique] : l’univers élargi devient un des moteurs des choix des personnages, qui l’utilisent de façon consciente. Le jeune Miles apprend par exemple à garder le contrôle de ses pouvoirs grâce aux comics books Spider-Man. De la même manière, Peter Parker reconnait l’existence de films et de séries Tv qui font explicitement références (à travers ce qu’elles ont de plus « pop iconiques ») à des œuvres « réelles » c’est-à-dire connues des fans présents dans la salle.
  • [Structure narrative] : fondée sur la répétition. L’arrivée à intervalles réguliers de nouveaux « Spider-X » permet de décomposer le récit et de désamorcer l’impression de revoir une nouvelle fois le même film. Chaque nouveau personnage se présente lui-même en insistant sur le fait que nous le connaissons déjà et sur le caractère lassant de ce « récit des origines ».

Pour autant, si le film admet l’existence d’un univers élargi et l’utilise à plein, il cherche à s’en affranchir ou en tout cas à s’en distancier pour donner l’illusion d’une histoire originale en réalité calquée sur le modèle du Spider-Man des origines : piqûre, apprentissage, perte de la figure paternelle, maîtrise de soi et de ses pouvoirs, défaite du mal.

  • En tuant le 1er Spider-Man, Peter Parker et tout ce qu’il représente dès les premières minutes du film. Ce Spider Man, jeune, blanc, masculin et scientifique qu’est le Spider Man originel, celui qui est présenté dans toutes les œuvres de fiction et que le grand public connaît. En le tuant, le film s’en éloigne symboliquement pour raconter une nouvelle histoire.
  • En introduisant de nouveaux personnages, certains réalistes comme Miles Morales et d’autres complètement fantaisistes – mais issus d’une certaine culture populaire à l’image du « Spider-Cochon » inspiré des Cartoons US (et des Simpson ?). De nouveaux personnages reflétant toute la diversité des USA d’aujourd’hui (H/F, Blanc/Noir/Latinos, …)

Conclusion

Bien qu’unique en son genre et graphiquement très innovante, cette œuvre questionne les limites de la surexploitation d’une matière originale. Le fait de capitaliser sur le « produit » d’une licence, même de manière bienveillante, ne résulte-t-il pas d’une logique « d’actualisation destructrice » ? Autrement dit d’une mise à mort symbolique de l’œuvre originelle pour l’exploiter une toute dernière fois ? Ou alors, ce procédé, employé dans le cadre d’une forme inédite (ici le dessin animé) par rapport aux autres représentations est-il sans conséquence ?

Si ces questions restent pour le moment sans réponse, l’évolution actuelle des films grands publics (à l’image de ce Spider-Man ou de Deadpool 2) montre que scénaristes et producteurs n’hésitent plus à brouiller les lignes entre l’œuvre et le spectateur en jouant avec le 4e mur ; l’air de dire : « voilà ce que j’ai vu que tu voulais voir ».

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