Définir les industries culturelles (3/4) L’art comme variable d’ajustement

Comme finalement beaucoup de gens, nous avons tendance à employer les termes d’industries culturelles, du divertissement ou encore créatives comme s’il s’agissait de synonymes. Et il nous semblait donc logique de débuter par un premier sujet de définition, pour tenter d’en clarifier les contours. Nous avons donc pris nos pelles et nos pioches histoire de déblayer un peu le terrain.

Les industries culturelles, comme le terme l’indique, sont à l’embranchement des champs de la culture et de l’industrie, et donc de l’économie. C’est tout naturellement que les auteurs des « cultural economics » (ou économie de la culture) se sont penchés sur le sujet à la fin des années 1970, après s’être longtemps cantonnées aux mondes de l’expression artistique (beaux-arts, spectacle vivant, …). Et on pourrait presque dire que c’est finalement la place qu’occupe l’art dans l’industrie considérée qui déterminera s’il s’agit d’une industrie créative, culturelle ou du divertissement.

Throsby : Revaloriser le culturel par rapport à l’économique

Avec son modèle des cercles concentriques, l’économiste australien David Throsby entend distinguer les industries qui relèvent uniquement ou principalement de la création artistique de celles pour lesquelles l’art ne serait qu’une composante parmi d’autres.

Source : David Throsby
Source : David Throsby (2008): The concentric circles model of the cultural industries, Cultural Trends, 17:3, 147-164

Son modèle part d’un principe simple : que les biens et les services culturels génèrent deux types de valeurs. Une valeur culturelle [cultural value] et une valeur économique [economic value]. La première serait ainsi liée aux « aspects intellectuels, moraux et artistiques » d’un bien ou d’un service, alors que la seconde se rapporterait à son utilité marginale ; soit, grosso modo, au prix que les consommateurs sont prêts à payer. Et pour Throsby, c’est cette valeur culturelle qui finalement compte lorsque l’on étudie les industries culturelles, c’est elle qui façonne leurs « caractéristiques les plus distinctives ».

Pour lui, cette valeur culturelle correspond à un contenu culturel [cultural content]. Et c’est sur la base de contenu culturel qu’il classe les différentes industries, entre les différents cercles. Plus il est « prononcé » [pronounced], plus l’industrie qui le produit sera considérée comme une industrie dite créative (« core creative industry »). Plus le lien entre le processus créatif et le produit sera distendu, plus l’industrie sera « loin » du centre (« wider », « related »). Prenons l’exemple d’un romancier également scénariste et critique presse dans un grand quotidien : son manuscrit servira directement de support au livre publié (« core creative industry ») alors que son scénario aura besoin d’être adapté par une équipe de tournage (« other core creative industry »). Quant à ses critiques, elles seront indirectement liées aux œuvres d’autres créateurs (« wider cultural industry ») ; publiées dans un journal qui traitera aussi bien de la culture que de la situation géopolitique.

Caves : Amener du mouvement, l’idée d’un continuum

Le principal soucis de l’analyse de Throsby est qu’il s’agit d’une photographie à un instant T. Parce que l’on parle d’industries interconnectés, où les acteurs, les idées et les moyens se retrouvent bien souvent dans plusieurs secteurs d’activité, il était nécessaire de rajouter une notion de mouvement. C’est en partie ce qu’a développé l’économiste Richard Caves, avec sa notion de continuum ; faisant aujourd’hui consensus.

En suivant toujours l’idée que la valeur culturelle fait les industries créatives et culturelles, Caves explique que la proportion des inputs créatifs par rapport aux inputs de routine [humdrum] diminue à mesure que l’on s’éloigne des activités de la création. Autrement dit, moins la création artistique devient déterminante dans le produit fini, moins l’industrie sera considérée comme créative. L’art est placé au centre, puis viennent ensuite tous les autres « inputs » (les autres facteurs nécessaires à la production d’un bien ou d’un service).

En 2000, R. Caves définissaient les industries créatives  à travers 7 propriétés économiques :

caracteristiques_industries_creatives

Et chacune de ces propriétés économiques permettent d’expliquer le fonctionnement des industries créatives. En admettant que « Nobody knows anything », on peut comprendre les logiques de concentration qui s’opèrent au sein des secteurs (avoir des groupes pouvant absorber l’échec) ainsi que la raison de la surabondance de biens culturels (dans une logique de portefeuille, un succès viendra combler les nombreux échecs).

Pour conclure, on voit ici que le modèle favorisé dans les politiques publiques, fondé sur une vision statistique, tend à lisser toutes les industries en lien avec la créativité comme culturelles. A l’inverse, les modèles de Caves ou de Throsby entendent différencier ces industries les unes par rapport aux autres : allant d’une forme de pureté créatrice à des industries qui consomment de la création, comme elles consommeraient une matière première pour produire autre chose. Et il semblerait que ce soit finalement dans la finalité que l’on entend donner à son propos que se trouve la bonne utilisation des termes industries culturelles, créatives ou encore de divertissement. Le livre est une industrie culturelle, autant qu’une industrie créative mais peut aussi bien être une industrie du divertissement, si l’on se place du point de vue du consommateur/lecteur.

 

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