La vidéo à la demande ou l’impression d’être aux commandes

greentertainment_vad_catalogueBien souvent, on fait rimer avenir de l’audiovisuel avec la VàD ou vidéo à la demande (ou encore VoD, pour les bilingues). Derrière ce sigle de trois lettres, se loge un discours fondé sur des courbes qui grimpent en flèche, des débouchés pour toutes les œuvres et un potentiel de croissance encore insondé. S’il est vrai que le secteur se développe (317 millions d’euros en 2015, +20% par rapport à 2014), on est encore loin des résultats des autres médiums que sont le cinéma ou la télévision. Pourtant, la VàD, parce qu’elle permet de casser les flux semble plus à même de répondre aux défis de l’hyper-choix et proposer une offre claire, précise et sélectionnée pour lui au téléspectateur ; sur laquelle il espère avoir toute la maîtrise du choix de la programmation et de l’horaire.

Le CNC propose un observatoire de la VàD (pour une période allant de janvier 2014 à septembre 2016) et permet de sortir des mythes vendus par les agences aux professionnels de l’audiovisuel. Au-delà d’un rôle mal défini dans le financement de la création, ces plateformes de VàD sont avant tout des diffuseurs, promptes à offrir un nouveau service, à la demande donc, à des spectateurs de plus en plus exigeants et sollicités. Mais malgré la poussée des abonnements, la VàD semble pour l’instant confinée à n’être qu’une plateforme de vente ou de location améliorée par un choix beaucoup pus large.

La VàD, disponible partout, tout le temps

La VàD ou vidéo à la demande fait partie des services de médias audiovisuels à la demande (les Smad), au même titre que la télévision de rattrapage. Selon le CSA, ces services « permettent de visionner […] de manière gratuite ou payante, des programmes audiovisuels [dématérialisés] au moment choisi par l’utilisateur ». Un visionnage qui peut se faire aussi bien sur tablette que smartphone, ordinateur et bien sûr, téléviseur.

Visionner du contenu dématérialisé n’importe quand sur n’importe quel terminal ; autrement dit, aller au-delà de la télévision traditionnelle ou du cinéma, qui fonctionne sur un principe de rendez-vous. Fini la contrainte de temps, les superpositions impossibles d’emploi du temps, le mot d’ordre est simple, presque simpliste : « any time, any where, any device« . C’est-à-dire disposer d’un service accessible partout, tout le temps et sur tous les supports. Et peut-être faudrait-il ajouter « any content« , pour tous les contenus.

Contrairement aux télévisions de rattrapage, qui redonnent à voir un programme pendant un délai limité une fois sa diffusion à l’antenne, les services de VàD proposent deux grands types de services. D’un côté les services à l’acte, à travers la location ou l’achat d’œuvres ou de programmes et de l’autre les services par abonnement, qui donnent accès un catalogue pour un visionnage bien souvent illimité ; services aussi appelés (S)VàDA.

La VàD, la solution de l’Hyper-Choix ?

Il suffit d’allumer la télévision pour voir que même sans abonnement particulier, les six chaînes en clair voire même les débuts de la TNT ne sont plus qu’un lointain souvenir. Le téléspectateur a aujourd’hui le choix entre des centaines de chaînes, des milliers d’heures de programme quotidiennes, sur tous les écrans et disponibles partout. Une offre pléthorique qui l’oblige constamment, à cause du principe même de flux, à faire des choix.

Confronté à cette offre pléthorique, le téléspectateur opte alors pour le régime de l’hyper-choix dans lequel il n’aurait à renoncer à rien, dans lequel il serait libre de naviguer entre différents programmes et différents supports à sa guise. Et c’est précisément ce que lui apporte la VàD, qui offre à voir la télévision non plus comme un flux continu et irrattrapable mais comme un ensemble de programmes à disposition, organisés et sélectionnés. La VàD « casse » les flux et permet au spectateur d’organiser sa consommation audiovisuel comme il l’entend. Et ce n’est pas surprenant de voir que les 15-24 ans sont presque deux fois plus nombreux que le reste de la population à utiliser ce genre de services, que ce soit la télévision de rattrapage (12,4% contre 8,6%) ou la VàD (3,3% contre 1,5%)

Et comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous, cette nouvelle organisation s’est parfaitement intégrée à la chronologie des médias et pourrait même la remettre en cause à terme – à l’image de ce que fait Prima cinema pour les très riches aux Etats-Unis ou ce qu’entend faire Apple très prochainement. Avant de repenser les liens entre la salle de cinéma et le salon (de mieux en mieux équipé de ce point de vue là), les services de VàD montrent surtout en quoi la dématérialisation a pu servir aussi bien les ayants droits que les utilisateurs, avec un plus fort taux de films disponibles qu’en version Dvd et plus rapidement ; pour des coûts bien souvent plus faibles.

Disponibilité des nouvelles sorties en copie physique et sur les plateformes de services VàD en 2016

Sur 654 films sortis en salle en 2015
VàD
Copie physique
Total des films disponibles
492 478
% disponibilités
75,2% 73,1%
% films français disponibles
72,7% 69,3%
% films américains disponibles
93,6% 90,1%
Films disponibles moins de 6 mois après la salle
484 399
% sorties disponibles dans les 6 mois
74% 61%
% films accessibles étant sortis 6 mois après la salle
98,4% 83,5%
% films à plus d’un million d’entrées 100% 87,5%
Source : CNC

Les services de VàD apparaissent à la fois comme une réinvention des anciens loueurs de cassettes ou de Dvd et comme une extension, plus instantanée, des chaînes de télévision traditionnelles. Et ce n’est donc pas un hasard si parmi les plateformes de VàD les populaires en France, on retrouve toutes celles des grandes chaînes (TF1, FranceTV, Arte, Canal+) en plus de celles proposées par Netflix ou Orange. Ils agissent comme une extension dans nos modes de vie actuels, marqués à la fois par la multiplication des écrans (6,4 par foyer), de l’offre de contenus et une mobilité des usages (80% des internautes sont multi-écrans).

C’est ainsi que la proportion de terminaux « secondaires » comme l’ordinateur (34,8%), les tablettes (16,6%) ou les smartphones (12,9%) dans la VàD est beaucoup plus grande que pour la télévision de flux (5,9% des Français). Malgré tout, on reste bien dans un service de télévision, puisque le téléviseur reste incontestablement l’écran n°1 (87%). Mais cela n’empêche pas de noter des différences, et de s’apercevoir que l’achat de films ou de séries va beaucoup plus se faire sur tablettes ou smartphones (30% chacun) que sur téléviseur. A l’inverse, les services par abonnement ou de location vont davantage passer par la télévision (70%). Quant à l’ordinateur, il est présent partout mais semble davantage associé aux services par abonnement (45%).

Les abonnements prennent le relais, les services à l’acte toujours leader

On l’a vu, le marché de la VàD est dominé par deux grandes catégories de services (à l’acte ou par abonnement). On est donc face à deux phénomènes bien distincts que sont la location et l’achat d’un côté et l’abonnement de l’autre. Autrement dit, des plateformes qui sont là pour vendre le plus grand nombre d’œuvres et d’autres qui sont construites autour d’un catalogue et d’une facilité de prise en main. Le marché de la vente était de 60,03 millions d’euros pour 2015, celui de la location de 175 millions d’euros et les abonnements ont pesé pour près 82,55 millions d’euros.

Les premiers succès des services de VàD ont été portés par les ventes et les locations d’œuvres mais on observe depuis 2015 une nette progression des services par abonnement, qui sont devenus en deux ans le réel moteur de croissance du secteur.

Le marché de la VàD en 2015 et aux 3 premiers trimestres de 2016 (janvier-septembre)

Location Achat Abonnement
Chiffre d’affaire 2016 (T1-T3)
110,94 M€ 50,36 M€ 69,27 M€
Progression (T3 2015 – T3 2016)
-4,2% +28,1% +100,2%
Part de marché 2016 (T1-T3) 48,1% 21,8% 30%
Progression (T3 2015 – T3 2016) -12,4% +1,1% +11,8%
Source : CNC

Malgré une relative perte de vitesse, les locations continuent d’être le service le plus prisé par les utilisateurs avec 24,18 millions d’œuvres louées pour la période janvier-septembre 2016 (25,07 millions sur la même période en 2015).

Quant aux utilisateurs, ils privilégient de plus en plus les services de VàD. D’un côté ils sont légèrement plus nombreux à les utiliser (35,7% contre 34,1% des internautes en 2015). De l’autre, ils sont beaucoup plus fidèles en 2016. Les spectateurs « occasionnels » (moins d’une fois par mois) n’en représentent plus que la moitié (54,9%), contre les trois quarts en 2014 (73,1%). A l’inverse, la part des consommateurs « réguliers » (une fois par mois, 22,8%), « assidus » (plus d’une fois par mois, 16,6%) et intensifs (au moins une fois par jour, 5,6% – contre 2,3% en 2014) a progressé en conséquence.

Le succès inégal de la VàD, une affaire de catalogue ?

Des deux grandes branches de la VàD, ce sont les services à l’acte (ici surtout la location) qui sont privilégiés par les utilisateurs (70% de parts de marché). A première vue, cette préférence semble incongrue au regard des prix : quelques euros pour une location, moins d’une dizaine pour un achat, entre 8 et 15 euros pour un abonnement mensuel ; et de la renommée des plateformes par abonnement qui semblent porter le marché.

Alors certes, on l’a vu, le secteur est en pleine recomposition et les services à l’acte tendent à s’étioler. D’une part les utilisateurs consomment de manière plus régulière, ce qui favorise naturellement les services par abonnement. D’autre part, les services de VàDA dispose d’une aura particulière, dû à leur puissance de création et à l’application du crédo : « any time, any where, any device« . En inventant (ou en répondant à) une nouvelle manière d’accéder et de regarder le contenu audiovisuel (sélection ciblée et visionnage illimité, binge viewing), ils semblent incarner une nouvelle forme de modernité que ne porte plus la télévision ou la location ; tout en faisant jeu égal en termes de production. Télévision qui est elle-même pris de court sur les « nouveaux » écrans par des applications permettant de naviguer entre les programmes, les reprendre du début, les mettre en favori …

Pour autant, on est encore loin de voir les abonnements supplantés les services à l’acte. Et un élément de réponse peut se trouver dans les catalogues proposés par les différents services (tableau ci-dessous). Une première différence est la taille de ces catalogues. Une seconde différence, et c’est surtout là que le bât semble blesser pour les services des SVàD (et expliquer en quelque sorte le succès des plateformes de streaming illégales, même payantes) est qu’ils sont trop hermétiques. Le choix de telle ou telle plateforme de VàDA « enferme » l’utilisateur qui n’a alors que peu de chance qu’une œuvre disponible sur une autre plateforme lui soit accessible, surtout si elle n’est ni française, ni américaine.

Films téléchargés au moins une fois (dits « actifs ») sur les plateformes de VàD aux trois premiers trimestres 2016

  Location ou achat
Par abonnement
Films actifs (T1-T3 2016)
13.344 3.079
Films actifs (1 plateforme ou plus)
31,3% 63,7%
Films actifs (4 plateformes ou plus) 29,3% 3%
Part des films français 29,5% 41,5%
Part des films américains 43,8% 41,4%
Source : CNC

Sachant que les films ont représenté plus de 77% des 24 millions d’œuvres louées en VàD en 2016 (contre 7,1% pour l’audiovisuel, i.e séries TV), la communication de Netflix ou de Canal+ autour de leurs créations originales paraît encore à la peine auprès du grand public. D’un côté une base de films immenses, de l’autre quelques séries phares et des films ; le choix semble facile pour des spectateurs occasionnels ou réguliers (une fois par mois) qui représentent encore les 3/4 des utilisateurs.

Mais on reste ici dans de la supposition et l’étude du Cnc ne permet pas réellement d’y répondre. Tant la taille du catalogue que la disponibilité des nouveautés et des œuvres « phares » devraient être importantes pour l’utilisateur ; tout comme le prix ou la simplicité d’utilisation. Et les données concernant les pratiques des utilisateurs posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses :

  • les pratiques (contenus regardés, fréquence, …) des utilisateurs « abonnés » diffèrent-elles de celles des utilisateurs favorisant les services à l’acte ?
  • quelles sont les motivations des utilisateurs qui s’abonnent ? et leur fréquence d’utilisation du service ?
  • les utilisateurs « abonnés » utilisent-ils des services à l’acte pour compléter la faiblesse de l’offre par abonnement ?
  • est-il nécessaire de séparer les « programmes pour adulte » (euphémisme pour pornographie) des autres programmes ? Sachant que sur les 37.811 œuvres uniques louées, 45,8% étaient « pour adulte ». Autrement dit, à considérer uniquement la fiction, la part des abonnements ne remonte-t-elle pas ?

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