Et une fois le patrimoine industriel « patrimonialisé » … concrètement, on en fait quoi ? Comme on l’a vu, la valorisation d’un site industriel passe souvent par une transformation physique et symbolique complète : nouvelles fonctions, nouvelle organisation, nouveaux repères et nouvelle image, positive. Mais une fois préservé, quelles sont les pistes de développement culturel pour ce patrimoine ? La Ruhr et le Nord-Pas-de-Calais ont fait des choix sensiblement similaires en matière de développement culturel et de valorisation de leur patrimoine : musée, évènementiel et pôle de créativité. Tour d’horizon et bilan.
Les musées
C’est bien souvent l’étape la plus simple pour un territoire disposant d’une identité et de savoirs-faire forts : les conserver et les mettre en vitrine dans un musée, auquel le bâtiment fera écho. C’est le choix qui a été fait des deux côtés de la frontière, avec un certain succès en termes de visites et un rôle utile dans le potentiel et l’économie touristique de ces régions. D’autant plus qu’ils s’inscrivent dans des parcours touristiques et patrimoniaux plus vastes. Les thématiques privilégiées (technique, industrie, sciences) sont les mêmes, avec deux stratégies légèrement différentes :
– thématique unique (ou presque : les mines) (NPdC) : un musée « principal » (Centre historique minier de Lewarde) complété de plusieurs « petits » musées thématiques consacrés à différentes techniques industrielles (souvent destiné à des publics locaux).
– plusieurs grands centres (Ruhr) dédiés aux différentes thématiques industrielles : eau, énergie, mines, ferroviaires …
Cependant, au-delà des investissements initiaux portés par des fonds étatiques ou européens (et locaux), ces musées peinent à se financer et reposent en grande partie sur les collectivités. Et sont donc poussés à trouver de nouvelles sources de financements. Alors même que les limites de leur activité commerciale se font assez rapidement sentir (surtout en période de crise) : seules 10% des recettes du Centre historique minier de Lewarde sont issues d’activités commerciales, les 90% restantes provenant de la billetterie.
Les musées jouent un rôle non négligeables dans la valorisation du patrimoine et de la culture locale, dans l’économie touristique mais nécessitent des apports financiers constants. De plus, centré sur des thématiques « régionales », il existe toujours le risque d’une certaine lassitude / mise à l’écart d’une partie du public ; que dev(r)ait venir « casser » le Louvre Lens (qui souffre des mêmes maux), véritable capteur d’attention nationale et internationale.
L’évènementiel
La programmation et l’évènementiel de rue (défilé, parade, …) ou scientifique (colloque, conférence, …) sont des solutions simples et reconnues pour faire exister ces institutions culturelles (musées, théâtres, …) à l’échelle nationale ou internationale ; aussi bien auprès du public que des médias. Mais symbolisé par l’équation malheureuse : coûts d’organisation croissants / retombées variables. La concurrence qu’il existe entre les grandes institutions culturelles (régionales, nationales et internationales pour des territoires comme le NPdC) les encourage à produire des évènements récurrents (festivals) et extraordinaires (capitale européenne de la culture) toujours plus recherchés, attractifs, … mais également coûteux. Dans le même temps, l’existence d’un patrimoine avec une valeur culturelle ajoutée forte joue pour ces territoires. En effet, la concurrence touche non seulement les territoires, mais également les organisateurs qui sont de plus en plus friands de sites insolites ou symboliques.
Dans les faits, l’exemple de la Ruhr est parlant. Choisie comme capitale européenne de la culture en 2010, la région allemande a vu passer près de 10,5 millions de visiteurs (+13% de nuités par rapport aux années précédentes). Mais l’effort financier de 62,5 millions d’euros nécessaire à l’organisation des nombreux évènements a été supporté par les collectivités. Ainsi les retombées positives en termes d’image (territoire d’innovation, de créativité, « renouvelé ») ont également alourdi la dette structurelle des collectivités locales.
Pôles d’innovations et industries créatives
3,3% du PIB européen en 2011, 3% des salariés, forte résilience à la crise, image positive et vectrice de dynamisme : les industries culturelles (dans leur acception la plus large : créative) avaient tout pour plaire aux décideurs locaux ; qui ont fait le choix de les soutenir massivement afin qu’elles investissent les anciennes friches industrielles.
– capitaliser sur les mouvements créatifs/artistiques qui ont occupé spontanément les friches en les structurant. Avec l’objectif de soutenir l’innovation artistique et une forme de « revitalisation culturelle » de ces espaces.
– planification urbaine labellisant des « quartiers créatifs » pour y développer certaines activités créatrices et les inscrire dans le tissu urbain.
– proposer des espaces « totem » et des complexes créatifs en réhabilitant d’anciennes friches industrielles afin d’y accueillir des entreprises/entrepreneurs créatifs. Avec l’objectif de créer des pôles d’excellence souvent spécialisés sur une ou plusieurs thématiques comme le numérique/l’animation (Valenciennes) ou le design (Essen).
– proposer une offre de formation d’excellence dans les thématiques pour y attirer des étudiants, des chercheurs et les faire cohabiter avec l’écosystème entrepreneurial naissant (souvent physiquement proche). Avec l’objectif d’attirer des étudiants et des compétences sur le territoire, comme à Valenciennes avec Supinfocom (cinéma d’animation) ou Supinfogame (jeux-vidéos).
Si l’on en croit B. Lusso, 90% des élèves des SupinfoX quittent le valenciennois par manque d’opportunité (pour Lille, Paris ou l’Amérique du Nord). Et la cité du design d’Essen reste avant tou un pôle touristique (malgré un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros). Mais l’expérience acquise par ces territoires sur ces secteurs porteurs de renouveau sera sûrement bénéfique et aisément valorisable au sein d’une politique globale de développement.
conclusion
La patrimonialisation n’est que la première étape d’une politique culturelle qui doit être pensée au global et embarquer le plus d’acteurs possibles pour être pérenne. La durabilité des structures, qui dépendent bien souvent de financements publics, pose question. Elles se doivent d’être actrice d’un renouveau territorial à la fois physique (dans l’espace avec la réutilisation des friches) et symbolique (avec une renouvellement de l’image internet et externe). Enfin, les industries culturelles (dans leur ensemble musées, expo, design, audiovisuel, …) peuvent jouer un rôle moteur dans la dynamique territorial dès lors qu’elles sont soutenues par d’autres relais de croissance (sachant qu’elles ne créent que très peu d’emplois) et intégrées dans une vision d’ensemble et cohérente. En bref, pas d’effet Bilbao sans cohérence.
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