Cinéma itinérant, à la croisée des chemins

greentertainment_cinema_itinerantHabitué à ne percevoir le cinéma que par le prisme de la salle obscure, on en oublierait presque une de ses composantes historiques – et aujourd’hui sociales – essentielles : son caractère itinérant. Plus d’un siècle après sa « naissance », le cinéma itinérant n’apparaît plus comme un simple phénomène de foire mais un moyen efficace d’amener le cinéma dans les territoires ruraux. Etat des lieux et perspective grâce au rapport de l’Assocation nationale des cinémas itinérants (Anci), à la croisée entre lutte contre la désertification culturelle et conquête de nouveaux publics. Où l’avenir s’inscrit dans un modèle hybride, fait de professionnalisation et de bénévolat.

Définition des cinémas itinérants

Il n’existe pas de définition juridique spécifique aux circuits de cinémas itinérants, qui sont avant tout considérés comme des « établissements cinématographiques ». Soumis aux mêmes obligations que les salles fixes, ils doivent s’enregistrer auprès du CNC et choisir pour cela une « localité principale » (ou « pilote »). Enfin, il suffit de justifier de deux points de projection différents pour créer un « circuit de cinéma itinérant ».

Pour l’Anci, la mission des circuits est avant tout de « maintenir une présence régulière du cinéma dans les villages », dans une « logique première de divertissement ». Mais pour la moitié des circuits, « cela se double d’une exigence de programmation qui amène à proposer […] des films sans doute plus ambitieux, à la qualité artistique validée ». Pour ces réseaux, il s’agit de trouver un équilibre entre « pragmatisme économique et ambition artistique », action militante, éducation populaire et divertissement.

État de lieux en 5 points clés
  • Un passage brutal au numérique. 98 circuits en 2014 contre 130 en 2009, ont encore une activité de diffusion commerciale – dont 97 en numérique. Le manque de moyen, d’engouement pour le numérique ou de renouvellement des personnes sont autant de causes qui expliquent cette restructuration du réseau.
  • Un cinéma itinérant avant tout rural et situé dans le quart sud-est de la France. Sur les 1.748 communes concernées, 70% ont moins de 2.000 habitants, 90% moins de 5.000 habitants et seulement 59 ont plus de 10.000 habitants. Enfin, bien que répartis dans 81 départements, les circuits sont à 45% situés dans les régions Rhône-Alpes et PACA, et presque totalement absents de la Bretagne et de la Normandie.
  • Des circuits resserrés, mêlant parfois itinérance et salle fixe. 55% des circuits possèdent moins de 15 points de diffusion, et 85% moins de 30 points. Si la grande majorité est exclusivement nomade (74%), 25 circuits gèrent malgré tout une ou plusieurs salles fixes.
  • Des circuits anciens, à « l’histoire collective forte ». 70% des circuits existaient avant 1999. Sur ces 81 circuits, 53 furent créés dans les années 1980, 25 dans les années 1990. Depuis 2010 et les plans de numérisation, on note la création d’au moins 10 circuits, soit plus que sur toute la décennie 2000. Peut-être l’apparition d’une nouvelle dynamique.
  • Une prédominance toujours plus forte de l’associatif. 82% des circuits sont des associations (80), contre seulement 68% en 1990. A l’inverse, les circuits privés n’en représentent plus que 13% (8 sociétés et 5 entreprises individuelles) et les circuits publics (collectivités, établissement public), 5% de l’offre. Peu lucratif, le cinéma itinérant repose en grande partie sur le bénévolat, voire le militantisme – 37,5% des circuits relèvent d’une fédération d’éducation populaire.
Comprendre le fonctionnement en 5 points clés
  • Un ancrage territorial fort. Le cinéma itinérant ne pourrait exister sans le soutien de partenaires locaux, qui participent à animer plus de 90% des lieux de projection. Lieux de projections qui sont eux-mêmes ancrés localement : salles des fêtes (66%), lieux-culturels (médiathèques, salles de spectacle : 14,5%), plein-air (7%) … Enfin, 80 circuits revendiquent 4.189 bénévoles – et si 14 circuits n’en ont aucun, 15 en ont plus de 100 -, dont les principales tâches sont la participation au conseil d’administration (16%), la communication (14%), l’accueil du public (15%) ou encore l’animation (11%).
  • Des finances saines, soutenues par les collectivités. La grande majorité des circuits est soutenue par des financements publics (83%) mais seule une toute petite partie (12%) dépend à plus de 50% de subventions ; là où 46% n’y trouvent qu’une source (importante certes) de complément (moins de 30% du budget). Les communes sont les plus mobilisées et soutiennent 71% des circuits, les départements (58%) et les régions (46%) ne sont pas en reste. Dans les faits, ces ressources servent à financer les moyens de projection, de sonorisation, les salaires, les locaux ou encore les véhicules. Le reste du budget est complété par la billetterie, qui représente plus de 40% des revenus dans 75% des cas (plus de 50% dans 45% des cas).
  • Des réseaux professionnalisés. Si le bénévolat à une grande importance dans les circuits itinérants, 86% d’entre eux emploient des salariés – même si la moitié en ont moins de 4. Parmi ces salariés, on retrouve une grande majorité de CDI (75%) et une proportion non négligeable de temps partiel (30%). Tous les circuits ont recours à des contrats aidés, mais 4 réseaux (sur 97) en concentrent 30%. Enfin, ces salariés remplissent des missions diverses, liées au cinéma (projection, régie, programmation, …) ou à des tâches plus administratives (comptabilité, direction, …).
  • Une ouverture au public le plus large possible. Les circuits itinérants privilégient la fréquentation et mènent une politique tarifaire en conséquence : 3,97 euros par ticket en moyenne, tarifs spéciaux (pour les jeunes publics dans 87% des cas, …) ou encore par des cartes d’abonnements (38% des cas). Dans les faits, la fréquentation est très inégale : un tiers des circuits réalisent moins de 7.000 entrées, un autre tiers entre 7.000 et 15.000 et un dernier tiers plus de 15.000 (et jusqu’à 50.000). Dans 67% des cas, ils proposent des séances 10 mois par an. Enfin si ces circuits ne représentent que 0,6% des entrées totales en 2014, cela en fait malgré tout 1.257.000, pour 4.747.000 euros de recettes ; réparties sur 31.300 séances et 400 films.
  • Une programmation mêlant grand public et cinéphilie. Des 30 films les plus vus en 2014 dans les circuits itinérants, 6 ont été l’un des 10 plus gros succès de l’année et un tiers étaient classés Art&Essai ; alors même que les programmateurs privilégiaient le cinéma français (66% des films). Une volonté de défendre un « cinéma de qualité » qui se traduit par une hausse du nombre de circuits classés Art&Essai – 47% en 2014 contre 27% en 2001 – ; à 90% associatifs (et à 70% avec le label « jeune public »). Cependant, 25% des circuits ne diffusent aucun films A&E, pour « répondre aux goûts du public ». Enfin, une moitié des exploitants affirment que l’accès au film a été facilité avec le passage au numérique et la fin du 35mm.
Circuits itinérants : un modèle à part, à valoriser pour ce qu’il est

Représentant moins de 1% des recettes commerciales du cinéma en France, le cinéma itinérant répond à un double objectif : proposer une offre de divertissement aux populations rurales et lutter contre la désertification culturelle des territoires. Et ses promoteurs ne s’y trompent pas puisqu’ils mobilisent le plus souvent des arguments « non-économiques » comme la vitalité culturelle, l’égalité des territoires ou l’éducation populaire pour le justifier. Et c’est ainsi qu’au petit jeu des forces et des faiblesses, on observe trois caractéristiques principales :

  • un ancrage territorial et local fort, relativement ancien et soutenu par le milieu associatif.
  • une volonté d’associer « divertissement » & « qualité artistique » afin de toucher un public large (notamment « jeune ») sans renier les aspects « cinéphiles » et « éducatifs ».
  • une capacité à évoluer, avec un virage du numérique bien pris et qui offre aujourd’hui de nouvelles perspectives (accès à plus de films, apparition de nouveaux circuits, diminution des coûts d’exploitation, …).

Et de fait, le cinéma itinérant (1,27 millions de spectateurs, 31.300 séances, …) ne doit pas chercher à ressembler au cinéma de salles. L’expérience utilisateur  y est différente. Moins immersive qu’en salle (absence de fauteuils rouges, lieux multifonctions, conditions techniques, …) elle s’avère bien souvent beaucoup plus interactive (débats, …). C’est ainsi que le cinéma itinérant, tout en s’inspirant de ce qui se fait dans les salles à de nombreux égards (recettes, communication, …), ne doit pas renoncer à ses propres spécificités. La professionnalisation ne doit pas passer par un lissage des traits caractéristiques (ancrage local, bénévolat, cinéphilie, ouverture à tous les publics, …) mais au contraire les réaffirmer et les crédibiliser aux yeux de l’industrie. L’avenir du cinéma itinérant semble alors passer par une réactualisation de ce modèle hybride, entre professionnalisation et bénévolat.

 

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